Théorie du support

La théorie du support (Bachimont, 2004[1]) postule que tout objet technique est l'inscription matérielle d'une connaissance et que toute connaissance est d'origine technique.

Connaissance

Pour Bachimont : « Une connaissance est la capacité d'exercer une action pour atteindre un but. » (2004, p. 65[1]). Bien qu'elle se rapporte in fine à l'action, cette définition n'insiste pas tant sur l'application directe d'une connaissance en action que sur le fait que la connaissance exprime la possibilité de réaliser l'action de manière non-seulement différée, mais surtout répétable. Liée à l'action, la connaissance est source de modification de ce sur quoi elle agit. Bachimont oppose ainsi les connaissances pratiques, exprimant un savoir-faire modifiant le monde matériel, aux connaissances théoriques, pour lesquelles les modifications s'opèrent dans le monde des représentations.

Inscription matérielle de connaissance

Par ailleurs : « est technique tout ce qui, par sa structure matérielle, prescrit et commande la réalisation d'actions possibles. » (ibid., p. 70[1]). Puisque la connaissance est précisément la capacité de réaliser une action, il s'ensuit qu'un objet technique est l'inscription matérielle d'une connaissance.

Les actions prescrites par les objets techniques ont pour origine les saillances présentées par les structures matérielles de l'environnement. Bachimont précise cependant que l'environnement ne contient pas les connaissances ni ne détermine les actions, celles-ci pouvant toujours ne pas être effectuées ou bien l'être autrement. Il ne s'agit donc pas de déterminisme mais de conditionnement de l'action par les structures matérielles. En mémorisant et en prescrivant l'action, ces structures se rendent disponibles pour la répétition de l'action, autre caractéristique fondamentale de la connaissance. Bachimont illustre ce point avec l'exemple d'une cisaille électrique qui, par la structure de sa poignée, prescrit et mémorise le geste à appliquer pour une utilisation sans danger, déchargeant ainsi l'utilisateur d'éloigner consciemment ses mains des lames cisaillantes.

Inscriptions instrumentales et inscriptions sémiotiques

Dans la lignée de l'opposition entre connaissances pratiques et théoriques, Bachimont distingue trois types de savoir qui renvoient à différents types d'inscriptions et d'objets associés :

  • Le savoir-faire est associé à la figure de l'outil, qui est inscription du geste qu'il prescrit.

  • Le savoir-produire est associé à la figure de la machine, qui est inscription du processus qu'elle reproduit. En outre, le savoir-produire peut être vu comme le savoir-faire étendu au geste automatisé par la machine.

  • Le savoir-penser est associé à la figure du document, qui est inscription de la connaissance qu'il reformule.

Le savoir-faire (comprenant le savoir-produire) et le savoir-penser constituent alors deux classes techniques d'inscription : les inscriptions instrumentales et les inscriptions sémiotiques. Les inscriptions sémiotiques ont la particularité d'être considérées pour ce qu'elles représentent et non pour ce qu'elles sont : Bachimont parle ainsi d'objets matériels intentionnels.

Genèse technique de la connaissance

La seconde thèse défendue par la théorie du support est que toute connaissance est d'origine technique. En effet, c'est parce que l'objet technique permet de prescrire une action qu'il mémorise la connaissance liée à cette action : l'objet technique est ainsi une mémoire externe.

Mais la mémoire peut aussi être interne dans le cas où la connaissance est portée par le corps biologique ou corps propre. Bachimont propose donc d'envisager le corps propre comme un cas particulier d'objet technique, et la pensée comme une dynamique de réinscription ou reformulation, par la conscience, des inscriptions ayant pour support un objet technique externe en inscriptions corporelles. Ainsi, la lecture est une reformulation d'inscriptions sémiotiques en inscriptions corporelles, l'écriture étant la dynamique inverse. Pour que le corps propre puisse être considéré comme le support de cette réinscription, il faut qu'il soit détaché de la conscience, comme l'est un objet technique situé dans l'environnement matériel externe au corps propre (et à la conscience). Ce dernier se distingue néanmoins des supports matériels externes dans le fait que d'une part, il est lié à l'évolution biologique du corps, entraînant ainsi de nombreuses transformations et par là même de nombreuses réinscriptions (Bachimont illustre cela avec l'image du palimpseste) ; et d'autre part, il est privé dans le sens où seule la conscience associée à ce corps peut accéder aux inscriptions dont il est le support.