Conclusion
Dans ce mémoire, nous nous sommes intéressé à la question de la relecture des documents numériques en prenant les chaînes éditoriales comme cadre d'étude. Oscillant entre instabilité, interactivité et rééditorialisation, les formes documentaires qu'elles proposent ne sont pas adaptées à la relecture. Nous avons alors suivi le principe du polymorphisme afin de proposer des formes dédiées à cette activité.
L'analyse de l'état de l'art nous a montré que les relectures de fond et de forme étaient outillées à travers les fonctions d'annotation et de correction automatique, et que le différentiel permettait de répondre à la propriété d'instabilité du document numérique. Les deux autres propriétés mobilisées dans la problématique, à savoir l'interactivité et la rééditorialisation, ont motivé la proposition de deux grands axes de conception de formes de relecture.
Premièrement, la linéarisation vise à redonner aux contenus une linéarité matérielle leur permettant d'être relus de façon exhaustive. Nous avons détaillé cette stratégie à travers des solutions répondant à différents sous-problèmes posés par l'interactivité. Une transformation mono-page permet ainsi de rétablir la finitude synoptique d'un document de structure linéaire, tandis qu'un document multilinéaire peut être linéarisé à travers la construction par le relecteur d'un parcours primaire, en référence auquel les autres parcours sont ensuite exprimés. Les contenus interactifs (augmentation, parenthèse, navigation) peuvent être soit réintégrés, soit affichés dans une zone dédiée en marge permanente ou bien en sur-fenêtre, en permettant au relecteur de mémoriser la trace de sa relecture lorsque ces contenus sont référencés plusieurs fois au sein du document. Les contenus calculés supposent quant à eux une projection statique, affichant l'ensemble des résultats potentiels de l'interaction, tel que pour les questionnaires de type QCU ou QCM, ou bien schématisant les structures conditionnelles en jeu lorsqu'elles sont plus complexes.
Deuxièmement, la tabulation cherche à permettre la relecture en parallèle de plusieurs contextes de rééditorialisation d'un document. En prenant le cas de la déclinaison dont nous avons analysé quelques propriétés formelles, nous avons proposé l'ébauche d'un algorithme de tabulation, restant toutefois à préciser et compléter.
Sur le plan expérimental, nous avons confronté deux de nos propositions théoriques à des contextes d'usage. Le premier contexte est celui de la relecture de contributions étudiantes et nous a permis de tester une forme linéarisée d'un document "multi-pages" intégrant un outil de différentiel. Cette expérimentation a mis en lumière le rôle joué par la linéarité du contenu par rapport à la relecture de ce dernier "en parallèle" avec celle des commentaires. Le différentiel s'est révélé plus utilisable du fait de l'allègement fonctionnel de la forme de relecture (pas de fragmentation, pas d'édition...) par rapport à l'éditeur Scenari. Dans le second contexte, concernant la qualification d'une banque de questions, nous avons mis en œuvre la linéarisation de questionnaires interactifs. Des éléments tant quantitatifs (nombre de questions commentées) que qualitatifs (commentaires sur les explications des solutions) suggèrent l'efficacité du dispositif proposé.
Ayant eu lieu dans des contextes "protégés", ces expérimentations n'ont pas fait l'objet d'une évaluation par les usages, ce qui ne permet pas à l'heure actuelle de valider ces deux propositions dans un cadre de recherche technologique tel que le nôtre. Des mobilisations actuelles (comme à l'AFPA ou à l'IFCAM par exemple) et futures de ce type de forme de relecture en contexte industriel permettront néanmoins de confirmer ou d'infirmer les hypothèses sous-tendant ces propositions.
De futurs travaux sont nécessaires afin d'implémenter et tester les autres propositions qui n'ont été présentées qu'à l'état de maquette dans ce mémoire. L'usage du modèle Opale pour les contributions étudiantes pourrait faire l'objet de nouvelles expérimentations en contexte protégé, notamment pour la tabulation (relecture du module à la fois dans sa version courte et standard) et pour la zone de contenus référencés (entrées de glossaire, références bibliographiques...). Le modèle Juriguide utilisé à l'UCANSS permettrait quant à lui de tester ces mêmes propositions en contexte industriel (tabulation des trois déclinaisons d'une fiche d'une part ; zone des articles de loi référencés d'autre part). Enfin, de nouvelles recherches sont nécessaires afin de proposer des formes de relecture pour les techniques de réutilisation par transclusion et de dérivation. Pour cette dernière, il faudrait étudier une éventuelle application de la tabulation.
Pour conclure en revenant sur la question de la philologie par laquelle nous avons introduit ce mémoire, nous pensons qu'elle se pose effectivement au niveau du document numérique, de par sa variance intrinsèque, comme nous avons pu le voir à travers les propriétés qui le rendent plus difficile à relire et à valider dans ses différents parcours interactifs, versions et rééditorialisations. Aujourd'hui, la philologie exploite les outils numériques pour l'édition savante des textes anciens (outils de visualisation et de comparaison de variantes). En revanche, il nous semble que la question se pose en d'autres termes pour les documents numériques. Plutôt que d'établir une version de référence à partir d'un ensemble de variantes ne s'accordant pas en tout point du texte (philologie classique pour les textes anciens), il s'agirait ici de relire et valider le document numérique dans sa variance à partir d'une version de référence. En particulier, une forme de relecture peut être vue comme une version de référence synthétisant temporairement la variance (par linéarisation, tabulation, etc.), sans pour autant l'éliminer de façon définitive.