Interactivité
Le numérique propose une écriture interactive, qui « suppose une forme de programmation informatique, plus ou moins ouverte, des interventions matérielles du lecteur (qui devient ainsi un interacteur), ces interventions entraînant des réponses de l'ordinateur. »
(Bouchardon, 2010, p. 134[1]). L'interactivité est notamment caractérisée par les liens hypertextes, qui donnent au lecteur la possibilité de construire son parcours au sein du document qu'il consulte. D'après Crozat (2015a[2], 2015b[3]), ces liens peuvent être de plusieurs sortes (augmentation, parenthèse, navigation, hyper-navigation) et permettent de scénariser différents types de parcours (linéaire, arborescent, multilinéaire...). L'interactivité donne également au lecteur la possibilité d'introduire des données qui peuvent ensuite faire l'objet d'un calcul réalisé par un programme (questionnaires interactifs, parcours conditionnés...).
Augmentation
L'augmentation est caractérisée par un contenu venant s'ajouter au contenu de départ, en extension ou en surimpression de ce dernier. Dans le premier cas, on parlera de contenu à profondeur variable[4] ou stretchtext (Nelson, 1987[5]) se manifestant par un contenu qui se "déplie". Dans le second, on parlera d'incise[6].
Parenthèse
La parenthèse désigne le remplacement temporaire d'un contenu par un autre, s'affichant par exemple dans une sur-fenêtre masquant le contenu d'origine[7]. Il s'agit d'une simple digression, à la suite de laquelle le lecteur ne peut que revenir au contexte initial (en fermant la sur-fenêtre ou à travers un lien "retour" typiquement).
(Hyper-)navigation
La navigation décrit un déplacement transversal à l'intérieur du document ou bien la sortie complète de ce document pour aller vers un autre : dans ce dernier cas, on parle d'hyper-navigation. Dans le site service-public.fr par exemple, on trouve des liens transversaux allant d'une fiche à une autre (navigation), ou encore des liens pointant vers d'autres sites tels que le portail Legifrance pour le référencement d'articles de loi (hyper-navigation).
Parcours
Les parcours peuvent être plus ou moins contraints en fonction de la structure du document. Dans un document linéaire[8], le parcours est suggéré par des liens précédant/suivant, ainsi qu'un plan hiérarchique. Dans un site tel que service-public.fr, le lecteur créé son parcours à travers les différentes fiches classées dans une arborescence (classement par thèmes, sous-thèmes...). Dans un document multilinéaire, le lecteur a le choix sur chaque page entre plusieurs pages suivantes possibles : il existe différents parcours qui s'entrecroisent, et le document repose sur une structure de réseau[9].
Calcul
La dimension computationnelle du document numérique permet de programmer des comportements en fonction des actions effectuées par le lecteur. Dans les questionnaires interactifs[10] par exemple, la correction (bonnes et mauvaises réponses, explications, score...) est individualisée en fonction des réponses. Les enchaînements conditionnés[11] de Topaze permettent quant à eux de proposer des étapes suivantes en fonction de conditions plus complexes (par exemple, les scores obtenus aux étapes de quiz précédentes).
L'interactivité, entre prise en charge et contrôle
Dans le cadre de ses travaux portant sur le récit interactif, Bouchardon (2010[1]) analyse le rapport entre le lecteur et le dispositif : « Avec le numérique, [...] le lecteur délègue à l'outil les fonctions d'accès : l'accès au contenu est entièrement codé, il est dans l'outil. Si l'accès n'a pas été prévu entre deux fragments par le concepteur des liens, ce lien n'existe pas. [...] Dans le numérique, tout cela est caché au lecteur. »
(ibid., pp. 157-158[1]). Bouchardon parle plus précisément de la « routinisation »
d'actions qui, dans le support papier, requièrent une intervention physique du lecteur (tourner la page, sauter des pages pour consulter le glossaire, etc.). Une action routinisée est caractéristique de la prise en charge du lecteur par le dispositif. Comme nous l'avons vu avec les questionnaires interactifs et les enchaînements conditionnés, cette prise en charge peut être le fait d'un programme et donc d'un calcul. Mais l'interactivité peut également donner une impression de contrôle, par exemple lorsque plusieurs liens possibles sont proposés à un point du récit : « Le lecteur, devant choisir un lien parmi plusieurs, est contraint d'éliminer les autres : il aura tendance à légitimer son choix, et par là même sera amené à construire une légitimité du lien choisi et du parcours effectué. »
(Bouchardon, 2010, pp. 158[1]). Les liens d'augmentation, de parenthèse, de navigation ou d'hyper-navigation participent aussi de cette impression de contrôle selon nous, le lecteur ayant le choix de les activer ou non (par exemple, on peut choisir de ne pas "déplier" une rubrique d'informations complémentaires).
L'interactivité, à travers les impressions de prise en charge et de contrôle, ne permet pas de mener une relecture exhaustive, comprise comme la capacité à faire la synthèse des différentes lectures résultant des possibilités d'interaction. En effet, la prise en charge par un programme empêche d'appréhender toute la combinatoire des résultats possibles de ce programme en fonction des données résultant de l'interaction. Le contrôle entraîne quant à lui le risque d'oublier certains contenus ou parcours au fil de la relecture, lorsque les liens permettant d'y accéder ne sont pas activés.